Biographie d'Abel LAUVRAY

Abel Lauvray naquit en 1870 d’une famille de riches notaires normands et tout semblait le destiner à cette fonction «héréditaire» si le sort n’en avait pas décidé autrement. En cette circonstance, le destin prit le visage d’un jeune peintre romantique et novateur, très critiqué par les journalistes et les amateurs d’Art de l’Europe : Claude Monet. Pour bien situer cette époque qui est celle de la naissance de l’impressionnisme, il faut se rappeler que le Second Empire vient de tomber et naître la III ème République. L’ambiance est au changement. Un petit groupe de peintres : MONET, CEZANNE, DEGAS, RENOIR, GUILLAUMIN et PISSARRO supportent mal le joug du classicisme. Ils ont une autre conception de la couleur et de la lumière et avec hélas ! de faibles moyens, ils essayent de le faire savoir. Le petit Abel LAUVRAY avait neuf ans, lorsque l’un d’eux, Claude MONET, vint s’installer à Vétheuil, dans une petite maison, à quelques mètres du domaine des LAUVRAY, belle demeure du XVIII ème siècle, qui était leur séjour préféré. Le «Maître de l’Impressionnisme» venait souvent poser son chevalet devant la terrasse des «LAUVRAY» d’où se dégage une belle perspective sur la magnifique église du XIII ème siècle qui fait l’orgueil de cette belle cité, enfoncée dans les collines bordant une grande boucle de la Seine et placée là comme un bijou dans un écrin. Le passage de MONET à Vétheuil correspond à la période la plus noire de sa vie. Il ne peut vendre ses oeuvres et tombe dans une grande misère. Il perd sa femme Camille et doit subvenir aux besoins de ses deux enfants : Jean et Michel. La famille LAUVRAY ne resta pas indifférente au sort de son nouveau voisin. Elle lui prêta de l’argent et lui commanda le portrait du fils cadet André. MONET ne fut pas oublieux et quant il revint en 1893 pour peindre sa fameuse série des 70 tableaux de Vétheuil sur son bateau-atelier, sa première visite fut pour ses amis. Le jeune Abel eut la grande joie de pouvoir accompagner le Maître et voir sous ses doigts agiles, naître ces paysages merveilleux, métamorphosés là, sur un bout de toile par quelques coups de pinceaux magiques, irradiant une lumière aux tonalités multiples que seuls savaient percevoir et rendre les prophètes de la Nouvelle Ecole : les Impressionnistes. Abel LAUVRAY était conquis, il avait la foi, il serait peintre et rien, pas même les Après avoir fait ses études de droit à Paris, concession à sa famille, il se fit inscrire à l’Académie de Peinture de Cormon et toujours sur les conseils de MONET, commença à peindre par lui-même. (?) MONET lui ayant cédé par la suite son bateau-atelier, LAUVRAY à son tour parcourut la Seine de Vétheuil à Mantes et infatigable, en ramena chez lui une quantité importante de toiles qu’on évalue à 1500 environ et qui représente ses 60 années de vie picturale active. A lire ces lignes, on pourrait croire que ce peintre fut un suiveur, sinon un copieur de MONET et des impressionnistes, ses amis. Il n’en est rien, comme le reconnaît Claude ROGER MARX : «Même lorsque LAUVRAY traite des sujets identiques à ceux de MONET, s’assied à la place que ce dernier avait choisie et peint aux mêmes heures, si proche qu’il soit souvent de celui qu’il s’est donné pour maître, il manifeste d’un tempérament assez différent. Pierre CABANNE le confirme dans l’une de ses préfaces : «Nul ne l’a endoctriné, il reste libre, aimant à exprimer les choses qui l’entouraient, mais comme il l’entendait, selon son propre plaisir?». LAUVRAY était à l’abri du besoin et donc indépendant. Il possédait plusieurs propriétés. A Mantes, il hérita par ailleurs d’une somptueuse villa dans le parc de laquelle se trouvait son atelier, réplique exacte de l’atelier de Claude MONET à Giverny. Malheureusement, à la libération, cette villa fut réquisitionnée par l’état major du Général ROHMEL, l’atelier détruit et environ 500 toiles brûlées. Il voyageait également beaucoup et plusieurs tableaux témoignent de son paysage à Venise, Syracuse, Athènes, etc? si bien que son oeuvre est topographiquement assez variée. Gérald SCHURR, analyse ainsi l’oeuvre de LAUVRAY : «Si la qualité vaporeuse et frémissante de la lumière l’apparente en effet au Maître des «Nymphéas», sa touche nerveuse et solidement affinée l’en éloigne, sa conception demeure plus classique dans la composition, dans l’aménagement des masses. Il excelle dans les demi-teintes, dans l’éclairage modulé des heures indécises, de l’aube au crépuscule : une sorte de musique de chambre comparable à certaines harmonies de Camille PISSARRO ; l’exemple de MONET et aussi de celui des «Barbizonnais» baignent ses paysages d’un ton de gravité. Avec les années, la touche se fait de plus en plus légère, les empâtements se meurent peu à peu en attouchements fluides»? En résumé, (?) LAUVRAY est un «peintre témoin de son temps». Touché par l’Ecole de Barbizon, acquis à l’impressionnisme, indifférent au cubisme et au surréalisme, attiré à la fin de sa vie par l’expressionnisme jusqu’à la limite de l’abstrait, son oeuvre demeure uniforme. Ses paysages sont une étude approfondie de la lumière dont on retrouve les reflets dans l’eau de la Seine et du Rhône. Ses ciels aux nuages brillants et fugitifs, qui plaisaient à MONET, sont remarquables. LAUVRAY est un Maître plein de délicatesse, de charme et de finesse. La douceur de vivre, le calme, le silence se dégagent de ses paysages solidaires. 

Yves JAUBERT  : La cote des Arts, Janvier 1991.